S'établir en forêt S’établir sur un lot boisé, jamais colonisé ou encore abandonné depuis des décennies et où les arbres ont repris leurs droits représente quelque chose de fascinant. La trace de l’humain y est moins forte et on a la chance (mais aussi la très grande responsabilité !) d’y mettre son empreinte de façon ECOLOGIQUE. Combien de vieux lots de colons abritent de petites « dumps », des carcasses d’automobiles rouillées et autres détritus ? Les mentalités changent, mais souvent à un rythme trop lent… Après avoir trouvé deux terrains faisant partie d’un ancien lot de colonisation, j’ai décidé de m’y établir et de tenter l’autarcie. La forêt était jeune, puisque le rang dans lequel je m’établissais avait été abandonné dans les années 60, comme de très nombreux autres rangs de la région. Ce choix amenait son lot de défis à relever: section de chemin de 3 km non déneigée l’hiver, pas d’électricité ni de téléphone (du moins pas de « poteaux » réguliers). Cependant, plusieurs avantages nets: coût très faible (entre autres, taxes municipales de 12 $ !), tranquillité, espaces et ressources naturelles en abondance, lac, ruisseau, petit pâturage ayant résisté au retour de la forêt, etc. Après avoir fait une inspection plus méthodique de mon nouveau domaine, je découvris un amas de déchets accumulés au fil des ans par des pêcheurs qui, semble-t-il, fréquentaient le lieu (avant que le lac n’ait été « vidé » de ses poissons). Un soupçon de découragement me vint, mais je m’attelai à la tâche et sortis quelques grosses boîtes de détritus du terrain. Puis avec les mois et les années, la plantation d’arbres s’ajouta à mes occupations et j’eus bientôt l’impression très agréable de contribuer à la restauration de notre belle forêt… En quoi la vie en forêt diffère-t-elle de la vie sur une terre agricole ? La forêt a ses avantages mais représente aussi un milieu non domestiqué, c’est-à-dire où tout est à faire. Je ne parle pas ici de bûcher 100 acres à la hache pour se « faire une terre ». Je crois que dans le contexte actuel, avec toutes ces terres en friche un peu partout au Québec, ce serait un non-sens. Mais la forêt peut très bien se prêter à l’agriculture de subsistance ou à très petite échelle. Pour mon jardin, j’ai choisi un endroit où poussaient uniquement des noisetiers. Ces arbustes étant très nombreux sur mon domaine, je n’hésitai pas à défricher à l’aide d’un gros sécateur une superficie de 120 mètres carré. J’avais coupé, l’hiver précédent, de petites épinettes noires pour en faire des piquets (le cèdre est l’idéal, mais ne pousse pas en abondance autour de chez-moi). Une fois le futur jardin clôturé avec ces piquets et de la bonne vieille « broche à poule », le jardin était prêt…ou presque ! Je brûlai toutes les branches de noisetiers au milieu du site et en dispersai la cendre (cela contribue à rendre le sol forestier moins acide). Mais le sol était toujours rempli de racines ! Une solution alors s’imposait: je délimitai des plates-bandes avec de grosses billes de bois flottant coupées par les castors. Tout au fond de ces « cadres » de bois je déposai deux couches de carton épais provenant de boîtes d’épicerie. Cela a eu pour effet d’empêcher les racines des plantes et arbustes se trouvant en dessous de repousser et de prendre le dessus. Le plus dur n’était pas encore là. Je me mis donc en quête de bonne terre meuble, ce qui n’est pas une mince tâche dans un endroit où le sol est composé d’argile et très lourd. Avec un peu d’argile effritée, de terre noire de surface ramassée dans la forêt (toujours à très petite échelle !), de sable et d’une très bonne dose de compost, la terre de jardin s’accumule dans les petites plates-bandes et c’est d’année en année que le jardin grandit. Les plates-bandes ainsi formées de 20 cm de bonne terre déposée sur du carton (qui se décomposera lentement) deviendront très productives avec le temps. Si le sol forestier de l’endroit est déjà propice au jardinage, le bêchage et le déracinement complet du jardin sont sûrement souhaitables. Toutefois, dans un sol récalcitrant, je préfère encore me mettre en quête de bonne terre avec ma brouette, compostant tout ce que je trouve autour. Comme je l’expliquais dans un article précédent, lorsqu’on s’établit sur une terre vierge, il vaut mieux commencer par une petite cabane, vite construite et vite habitable, car la première chose à faire est d’habiter le lieu. Quand on habite le lieu, on apprend vite à connaître la topographie, ainsi que la flore et la faune qui peuplent le domaine. Les sentiers se forment d’eux-mêmes à mesure que l’on vaque à nos occupations quotidiennes. Toutefois, on veillera à s’assurer que ceux-ci ne menacent pas l’écosystème (par exemple, passent-ils sur des plantes rares localement ?) Par la suite, on peut songer à s’installer plus confortablement. J’ai été chanceux de pouvoir construire mon petit habitat de manière à profiter pleinement des rayons du soleil. Depuis le sud-est jusqu’à l’ouest, aucun conifère ne vient obstruer la vue et les feuillus dénudés durant l’hiver laissent passer le soleil dans trois grandes fenêtres qui chauffent à elles seules la maison durant la journée. Mais ma voisine habitant dans la même petite communauté que moi n’avait pas cette opportunité. Le seul endroit logique pour bâtir son habitation faisait face à de très grandes épinettes blanches âgées d’au moins cent ans. Les couper toutes pour avoir plus de soleil était impensable. Après avoir passé un an sur place, elle choisit un compromis. Elle commença par élaguer les branches de tous les conifères se trouvant dans l’axe solaire en question, et ce sur une hauteur de plus de 2 mètres. Ensuite, quelques mois plus tard, quelques sapins furent abattus, parce que cette essence résiste moins bien aux vents violents provenant du lac. Une fois ces différentes étapes accomplies, le soleil parvenait beaucoup mieux à chauffer la maison, ce qui contribuait à économiser l’énergie (bois de chauffage). En plus, l’élagage des branches permet une meilleure ventilation et éloigne les moustiques de façon très perceptible. La meilleure chose à faire est de prendre son temps avant de couper des arbres. Ils prennent du temps à pousser, alors que nos désirs germent si rapidement et changent si souvent ! Les environs de nos habitations (car avec le temps, quatre habitants peuplèrent le petit domaine) étaient plutôt pauvres en biodiversité (du moins pour ce qui est de la flore, car les animaux étaient très présents dès le début). La plantation d’arbres indigènes et de plantes collectées sur l’autre rive du lac amènent tranquillement la diversité et ce processus est loin d’être terminé. De nombreux oiseaux migrateurs passent par ici et la faune est étonnamment diversifiée. Quel plaisir que de croiser un orignal en allant prendre un café chez le voisin (bon, j’avoue que ce n’est arrivé qu’une fois, mais quand même !) ou de s’endormir au son hypnotisant d’une fanfare de grenouilles… La création d’écovillages en milieu forestier me semble très logique, à condition de ne pas répéter les mêmes schémas d’occupation développés dans les années passées (occupation trop dense des milieux riverains, destruction des berges, pollution par le bruit, etc.) La forêt est pleine de ressources pour qui veut bien y habiter. |